En janvier dernier a été créée et installée une nouvelle commission: la Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration. Voici reproduite ci-dessous la lettre de mission adressée par Brice Hortefeux à son président nouvellement nommé, Pierre Mazeaud. Cette lettre fixe le périmètre de travail de la commission, les interrogations auxquelles elle devra apporter au ministre des réponses et aussi son calendrier de travail. Son rapport est attendu pour mai 2008. *** Monsieur le président, Vous avez bien voulu accepter de présider la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration. La politique française de l’immigration a été définie, jusqu’alors, à droit constitutionnel constant. C’est l’oeuvre du législateur ainsi que celle du Gouvernement, négociant avec les autorités étrangères des accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires et de codéveloppement, et exerçant son pouvoir réglementaire. La transformation de la politique d’immigration que le Président de la République appelle de ses voeux fait apparaître, aujourd’hui, la nécessité d’une réflexion sur le cadre constitutionnel des réformes envisagées par le Gouvernement afin de : – définir des quotas d’immigration ; – simplifier la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, voire unifier le contentieux de l’entrée, du séjour et de l’éloignement des étrangers. Il appartient à votre commission de préciser le cadre juridique actuel avant de proposer, si cela apparaît nécessaire, les termes d’un projet de révision de la Constitution. 1. En premier lieu, la commission envisagera les adaptations nécessaires à la définition de quotas d’immigration, à caractère normatif. La commission examinera, d’abord, les différentes expériences conduites à l’étranger afin de mettre en oeuvre une régulation quantitative des flux migratoires, c’est-à-dire une politique de quotas ou de plafonds d’immigration. Elle envisagera, ensuite, le cadre juridique nécessaire à la définition de quotas d’immigration en France. Je vous précise qu’en tout état de cause le Gouvernement exclut que soit défini un quota limitant le nombre des demandeurs d’asile et des réfugiés politiques. La commission précisera, en particulier, quels pourraient être les rôles respectifs du Gouvernement et du Parlement La définition de quotas d’immigration comporterait deux éléments. Elle permettrait, d’une part, une maîtrise globale de l’immigration en France par la fixation du nombre annuel des migrants admis à entrer et séjourner en France, conformément aux besoins et aux capacités d’accueil de la Nation. La définition de quotas permettrait à la France, ensuite, de choisir les différentes composantes de l’immigration, avec comme objectif que l’immigration économique — elle-même analysée par grandes catégories professionnelles — représente 50 % du flux total des entrées en vue d’une installation durable. Vous étudierez la possibilité de décliner ce quota global et ces quotas catégoriels selon les grandes régions de provenance des flux migratoires. Ces orientations, envisagées pour des motifs d’intérêt national, doivent être notamment étudiées au regard de la protection de la vie familiale (telle qu’elle découle de la Constitution, mais aussi de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), de la liberté du mariage et du principe d’égalité. 2. La commission, en second lieu, étudiera la possibilité de simplifier la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, voire d’unifier, au profit de l’un d’entre eux, le contentieux de l’entrée, du séjour et de l’éloignement des étrangers. L’organisation actuelle — qui confie aux deux ordres de juridiction et parfois, en leur sein, à des juridictions spécialisées le soin de contrôler les décisions administratives prises en ces matières — entraîne par sa complexité des inconvénients tant pour les étrangers intéressés que pour la bonne exécution des mesures d’éloignement les concernant. Je souhaite qu’après un examen attentif des expériences étrangères pertinentes la commission examine, dans le respect des droits de la défense, l’hypothèse d’une simplification, voire d’une unification de ce contentieux et, le cas échéant, de la création d’une juridiction spécialisée. Votre réflexion pourra utilement s’étendre à l’articulation entre le contentieux de droit commun des étrangers et celui des refus de reconnaissance de la qualité de réfugié. Je vous saurais gré de bien vouloir me rendre vos conclusions à la fin du mois de mai. En vous remerciant pour le précieux concours que vous avez bien voulu accepter d’apporter à la définition du cadre juridique de la nouvelle politique d’immigration, je vous prie de croire, Monsieur le président, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Fait à Paris, le 30 janvier 2008. Brice Hortefeux ********** Au sujet de Pierre Mazeaud: Après des études au lycée Louis-le-Grand, puis à la Faculté de Droit de Paris, il est devenu Docteur en droit et a commencé une carrière dans la magistrature comme juge d’instance, à la Martinique, puis de grande instance, à Versailles. De 1955 à 1968, il a été chargé de travaux dirigés à la Faculté de Droit de Paris. En 1961, le Premier ministre Michel Debré l’appela à son Cabinet comme chargé de mission. De 1962 à 1967, il a occupé les fonctions de conseiller technique auprès de notre confrère Jean Foyer, alors Garde des Sceaux, avant de travailler en 1967-68, comme chargé de mission auprès de François Missoffe, alors ministre de la Jeunesse et des sports. Elu en 1968 député des Hauts de Seine, il a siégé à l’Assemblée nationale jusqu’en 1973, date à laquelle il fut nommé Secrétaire d’Etat chargé de la jeunesse, des sports et des loisirs, poste qu’il a occupé jusqu’en 1976. La liste des autres fonctions importantes qu’il a assumées depuis lors est impressionnante : Conseiller d’Etat en 1976, député de la Haute-Savoie de 1988 à 1998, Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale pendant 7 années (1987-88 puis 1993-98), vice-Président de cette même Assemblée en 1992-92 puis en 1997-98, Conseiller régional de Rhône-Alpes et Président de la Commissin des finances de Rhône-Alpes de 1992 à 1998, juge titulaire à la Haute Cour de Justice de 1987 à 1997. Entré au Conseil constitutionnel en 1998, il en est devenu le Président en 2004, confirmant ainsi son rôle éminent au service de la République. Sa carrière dans les hautes sphères de l’Etat s’est accompagnée d’une riche d’expérience de terrain, d’une part comme maire de la commune de Saint-Julien en Gènevois (1979-89), et d’autre part comme enseignant aux Instituts d’études politiques d’Aix-en-Porvence et de Paris. Il convient enfin de rappeler que Pierre Mazeaud est un alpiniste hors pair, vainqueur de l’Everest en 1978, auteur de nombreuses voies nouvelles en haute montagne, expériences qu’il a relatées dans plusieurs ouvrages. (source: site de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, http://www.asmp.fr/fiches_academiciens/mazeaud_carriere.htm)