Le Conseil d’État français, dans un avis consultatif rendu le 6 mai 2025, a apporté des clarifications cruciales concernant le refus implicite des demandes de titre de séjour lorsque le traitement administratif dépasse le délai légal de quatre mois. Cet avis, sollicité par le tribunal administratif de Grenoble, aborde un point de discorde de longue date pour les ressortissants étrangers sollicitant leur admission en France.
Le cœur du problème réside dans l’article R. 432-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit un délai de quatre mois pour que l’administration réponde aux demandes de titre de séjour, après quoi le silence vaut décision implicite de rejet. Le Conseil d’État a été interrogé sur la question de savoir si la poursuite de l’instruction d’une demande, y compris la délivrance ou le renouvellement de récépissés ou d’attestations de prolongation, pouvait empêcher la naissance de ce refus implicite, même après l’expiration du délai de quatre mois.
La décision de la haute juridiction est sans équivoque : « La circonstance qu’un étranger se soit vu délivrer ou renouveler un récépissé ou une attestation de prolongation de l’instruction pour une durée supérieure au délai mentionné au point 3 ou postérieurement à l’expiration de ce délai ne fait pas obstacle à la naissance ou au maintien de la décision implicite de refus née du silence gardé par l’administration au terme ce délai ». Cela signifie que même si la préfecture continue de traiter la demande et de délivrer des documents provisoires, un refus implicite est toujours constitué après le délai initial de quatre mois.
Cette décision s’applique quelle que soit la manière dont la demande a été soumise. Pour les demandes effectuées par comparution personnelle en préfecture, où un récépissé est généralement délivré, le refus implicite est maintenu malgré les renouvellements ultérieurs de ce document. De même, pour les demandes soumises via téléservice, qui donnent lieu à une attestation dématérialisée de dépôt en ligne et potentiellement une attestation de prolongation de l’instruction, le refus implicite est maintenu une fois le délai de quatre mois écoulé.
En conséquence, le Conseil d’État a jugé inutile de répondre à la troisième question posée par le tribunal administratif de Grenoble, qui demandait s’il existait un « délai raisonnable » au-delà des quatre mois qui pourrait néanmoins révéler la naissance d’une décision implicite de rejet si la réponse aux deux premières questions avait été négative.
Cet avis du Conseil d’État, qui sera publié au Journal officiel de la République française, apporte une clarté indispensable tant pour les demandeurs étrangers que pour les autorités administratives. Il renforce le principe selon lequel le silence de l’administration, au-delà du délai légal, constitue une décision définitive de rejet, même si la demande semble rester « en cours d’instruction ».
Cette décision devrait avoir des implications importantes sur la manière dont les ressortissants étrangers font valoir leur droit au séjour en France et contestent l’inaction administrative.
On rappellera utilement que les délais pour contester une décision implicite de rejet sont calculés sur la règle du délai raisonnable d’un an à compter de la naissance de la décision implicite de rejet donc par sécurité il conviendra de saisir le Tribunal avant l’expiration de ce délai d’un an à compter de 4 mois post dépôt.
Avis rendu par Conseil d’Etat, 06-05-2025n° 499904
Pour aller plus loin
Délais de Réponse pour les Titres de Séjour : Comprendre les Exceptions au Silence de l’Administration, Titres par Titres
Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) fixe un délai général de quatre mois pour la naissance d’une décision implicite de rejet concernant les demandes de titre de séjour. Cependant, l’article R. 432-2 du CESEDA établit des dérogations importantes, réduisant ce délai à 90 ou 60 jours pour certaines catégories de titres, témoignant de la volonté d’accélérer le traitement de ces dossiers spécifiques.
Ces délais raccourcis sont essentiels à connaître pour les demandeurs, car ils déterminent le moment à partir duquel le silence de l’administration peut être considéré comme un refus, ouvrant ainsi la voie à des recours juridiques. Voici une présentation des titres de séjour concernés par ces exceptions :
Délai de 90 jours (trois mois)
Le délai pour la naissance d’une décision implicite de rejet est de quatre-vingt-dix jours lorsque l’étranger sollicite la délivrance d’un titre de séjour mentionné aux articles suivants du CESEDA :
- Article R. 421-23 : Concerne le « Passeport talent – Carte bleue européenne ».
- Article R. 421-43 : Relatif à l’étranger résidant hors de l’Union européenne dans le cadre de certaines catégories de « Passeport talent ».
- Article R. 421-47 : Concerne l’étranger ayant été admis au séjour dans un autre État membre de l’Union européenne.
- Article R. 421-54 : Vise la carte de séjour temporaire portant la mention « stagiaire ICT » ou « stagiaire mobile ICT ». Il est mentionné deux fois dans le texte source original.
- Article R. 421-60 : Relatif à l’étranger exerçant un emploi à caractère saisonnier.
- Article R. 422-5 : Concerne la décision du préfet sur la demande de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ou « étudiant-programme de mobilité ».
- Article R. 422-12 : Relatif à la carte de séjour portant la mention « recherche d’emploi ou création d’entreprise ».
- Article R. 426-14 : Concerne l’étranger effectuant un séjour de jeune au pair.
- Article R. 426-17 : Se rapporte à la carte de résident de longue durée – UE.
Ces titres couvrent un éventail de situations, allant des professionnels hautement qualifiés aux étudiants en mobilité, en passant par les travailleurs saisonniers et les jeunes au pair, justifiant un traitement plus rapide de leur dossier.
Délai de 60 jours (deux mois)
Le délai le plus court, soit soixante jours, s’applique lorsque l’étranger sollicite la délivrance du titre de séjour mentionné à l’article :
- Article R. 421-26 : Concerne la carte de séjour « Passeport talent – Chercheur ».
Ce délai particulièrement court souligne la priorité accordée aux chercheurs, reconnaissant leur contribution potentielle à l’économie et à la recherche françaises.
Implications pour les demandeurs
Il est impératif pour les demandeurs de bien identifier la catégorie de leur demande et le délai qui s’y applique. Une fois le délai dérogatoire de 90 ou 60 jours écoulé sans réponse de l’administration, la décision implicite de rejet est constituée. Comme l’a précisé le Conseil d’État, la délivrance ou le renouvellement de documents provisoires (récépissés ou attestations de prolongation) ne fait pas obstacle à cette naissance du refus implicite. À ce stade, l’étranger est en droit d’engager un recours contentieux devant le tribunal administratif pour contester cette décision.
La compréhension de ces délais est fondamentale pour les étrangers en France, leur permettant de gérer au mieux leur situation administrative et d’exercer leurs droits dans le respect des procédures légales.