Les refus de titres de séjour sont aujourd’hui rendus par des décisions « complexes » des préfectures qui comprennent diverses informations (sanctions). Lorsqu’une préfecture refuse un titre de séjour, elle ne se contente pas de refuser la délivrance du titre sollicité par l’étranger mais elle accompagne désormais sa décision de deux précisions :
– premièrement, elle précise que le demandeur qui s’est vu opposé un refus dispose d’un mois à compter de la réception du refus pour quitter le territoire français.
– deuxièmement, la préfecture précise le pays de destination vers lequel l’étranger pourra être reconduit au-delà du délai d’un mois si celui-ci est contrôlé sans papier et donc en situation irrégulière sur le territoire.
Le Conseil d’Etat, qui est la plus haute juridiction administrative française, vient de rendre un avis fort intéressant sur les modalités de contestation de ces décisions devant le juge administratif (CE, avis, 19 oct. 2007).
Au cours de deux contentieux portés devant le tribunal administratif de Montpellier, le Conseil d’Etat a été saisi pour avis par le président de ce Tribunal. Cette procédure, propre au contentieux administratif, permet à la plus haute juridiction administrative de donner son « avis » afin d’harmoniser la jurisprudence (c’est-à-dire les décisions de justice rendues) et éviter ainsi les cacophonies juridictionnelles. Le contentieux des étrangers est un des plus importants aujourd’hui devant les juridictions administratives ce qui rend les avis du Conseil d’Etat en la matière d’autant plus importants.
Quelles ont été les réponses données ?
I. Premièrement, le Conseil d’Etat rappelle la nouvelle règle de l’article L. 511-1 du CESEDA : le « trois en un »
Selon cet article l’autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour pour un motif autre que l’existence d’une menace à l’ordre public, peut assortir sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Cette décision va alors fixer le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu qui est d’un mois à compter de la notification du refus.
Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d’office par l’administration car la personne se trouve alors en situation irrégulière sur le territoire.
Il est important de rappeler ici que le délai d’un mois accordé aux étrangers pour quitter le territoire commence à courir à compter de la réception en accusé de réception de la lettre de la préfecture valant refus.
Dès lors une lettre de refus en date du 10 octobre et notifiée le 12 octobre au domicile de la personne par la Poste fera courir un délai d’un mois allant jusqu’au 13 novembre.
Rappelons au passage que la personne ayant fait l’objet d’un refus de titre de séjour pourra contester ce refus devant le tribunal administratif dans un délai d’un mois. Au bout du premier mois, le délai pour quitter le territoire a expiré et la personne se trouve donc en situation irrégulière. Celle-ci peut alors être placée en rétention administrative si elle est contrôlée par les forces de police. Le placement en rétention administrative pourra alors faire l’objet en parallèle d’un référé liberté.
L’article L. 511-4 du Code détermine toutefois les catégories d’étrangers qui ne peuvent, par exception à cette disposition, faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.
Ce sont les personnes suivantes :
1º L’étranger mineur de dix-huit ans ;
2º L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;
3° (néant)
4º L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;
5º L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
6º L’étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ;
7º L’étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
8º L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2º, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage ;
9º L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
10º L’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi ;
11º Le ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ainsi que les membres de sa famille, qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu par l’article L. 122-1.
L’article L. 512-1 du Code des étrangers prévoit notamment que l’étranger qui fait l’objet d’un refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire mentionnant le pays de destination peut, dans le délai d’un mois suivant la notification, demander l’annulation de ces décisions au tribunal administratif.
Ce recours suspend l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français sans pour autant faire obstacle au placement en rétention administrative. Il est à noter que le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Ce délai de trois mois pose en pratique de grande difficultés à certains tribunaux administratifs qui sont débordés. Mais en droit le non respect de ce délai de trois mois n’est pas sanctionné s’il n’est pas respecté par le tribunal.
Toutefois, en cas de placement en rétention de l’étranger avant que le juge ait rendu sa décision, le tribunal administratif doit alors statuer en urgence sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, et ce au plus tard 72 heures à compter de la notification par l’administration au tribunal de ce placement.
Rappelons qu’ engager un recours contre un refus de séjour suspend l’obligation de quitter le territoire mais ne suspend pas la décision négative ayant refuser le titre de séjour à l’étranger : celui-ci est alors en situation irrégulière durant la procédure contentieuse qui se déroule devant le tribunal administratif.
Si l’obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas.
Ayant rappelé ces principales dispositions, le Conseil d’Etat émet l’avis suivant :
« Il ressort des dispositions de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précitées, éclairées par les travaux préparatoires, que les décisions par lesquelles l’administration refuse ou retire à un étranger le droit de demeurer sur le territoire français, l’oblige à quitter ce territoire et lui signifie son pays de destination sont, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’intégration et à l’immigration, regroupées au sein d’un acte administratif unique ».
« Toutefois, ni ces dispositions ni celles de l’article L. 512-1 du même code précité n’ont pour effet de faire obstacle à ce que les intéressés contestent séparément devant le juge la légalité de chacune de ces décisions, en soulevant, le cas échéant, des moyens distincts ».
« Il appartient alors au juge d’apprécier la légalité de chaque décision au regard des moyens soulevés par les intéressés au soutien de leurs conclusions dirigées contre la décision en cause ».
« Dès lors, si le refus de carte vie privée et familiale ne peut être contestée sur le terrain de la vie privée, l’obligation pour l’étranger de retourner dans son pays d’origine pourra être contesté sur le même moyen et le juge sera obligé de procéder à ce double examen ».
C’est donc bien contre les trois décisions contenues dans le cadre d’un refus de titre que le requérant pourra former ses critiques de manière distincte.
Il se peut en effet que le refus de titre soit régulier au regard de la loi et que les conditions nécessaires pour son octroi ne soient pas remplies en application du CESEDA mais en même temps le renvoi de l’étranger vers le pays fixé par la préfecture pourrait contrevenir à ses droits à une vie privée et familiale normale telle que protégée par les dispositions de l’article 8 CEDH.
II. Deuxièmement, sur la motivation de l’obligation de quitter le territoire français :
Selon le Conseil d’Etat, « l’obligation de quitter le territoire français est une mesure de police qui doit, comme telle, être motivée en application des règles de forme édictées, pour l’ensemble des décisions administratives, par l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ».
La motivation de cette mesure se confond avec celle du refus ou du retrait de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n’implique pas de mention spécifique pour respecter les exigences de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 dès lors que ce refus ou ce retrait est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d’assortir le refus de séjour d’une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées.
Il conviendra alors d’être vigilant sur ce dernier point : toute OQTF devra préciser quelles ont été les dispositions du code permettant de prendre d’assortir ce refus de cette invitation à quitter le territoire national. L’avis est fort intéressant sur ce point de détail de la motivation.
Il sera cependant désormais impossible en stratégie contentieuse de vouloir contester la motivation même de l’obligation de quitter le territoire comme nous avions pu tenter de le faire dans le passé. L’avis du Conseil d’Etat ne manquera pas d’être rappelé sur ce point par les préfectures.
III. Troisièmement, sur l’application des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration :
Le Conseil d’Etat rappelle qu’il ressort des dispositions de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers que le législateur a entendu déterminer l’ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l’intervention et l’exécution des décisions par lesquelles l’autorité administrative signifie à l’étranger l’obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français.
Dès lors, selon la haute juridiction, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration (qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979), ne saurait être utilement invoqué à l’encontre d’une décision portant obligation de quitter le territoire français. En vertu de leurs termes mêmes, ces dispositions ne peuvent pas non plus être utilement invoquées à l’encontre d’une décision de refus de titre de séjour, qui est prise en réponse à une demande formulée par l’intéressé.
IV. Quatrièmement, sur les mesures d’exécution susceptibles d’être appelées par l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
En cas d’annulation par le juge de la décision portant obligation de quitter le territoire français il doit alors être mis fin au placement en rétention administrative de l’intéressé. Par ailleurs, il doit lui être délivré une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son droit au séjour.
En dehors de cette mesure, l’annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, lorsqu’elle n’est pas la conséquence de l’annulation de la décision de refus de titre de séjour, n’implique aucune mesure d’exécution particulière.
On risque alors de se retrouver dans des situations où seule l’obligation de quitter le territoire serait annulée et le refus de titre de séjour ne serait pas remis en cause. On aurait alors des cas déjà connus dans le passé de sans papiers non reconductibles à la frontière car l’obligation de quitter le territoire aurait été annulée. Il y a cependant de fortes chances pour que les raisons ayant motivé une annulation de l’obligation de quitter le territoire puissent justifier une nouvelle demande d’un titre de séjour reformulée à la suite de la décision du tribunal administratif et reprenant la motivation de sa censure de l’IQTF (Invitation à Quitter le Territoire Français).
A suivre…